Yasmina Khadra - Cousine K

Publié le par Romain

9782266144551FS.gif

Yasmina Khadra n'est pas une femme de lettre, loin de là. Mohammed Moulessehoul est son vrai nom. Militaire de carrière ainsi que de famille, il endosse le nom de "jasmin vert" (qui est la signification de son pseudonyme) afin d'éviter tout conflit avec sa hiérarchie. En l'an 2000, sa lettre de démission posée sur le bureau de ses supérieurs, il se consacre pleinement à sa passion d'écriture. Traduit dans plus de 38 pays, Yasmina Khadra est un écrivain algérien incontournable qui nous livre ici une œuvre qui ne l'est pas moins.


Anonyme, le personnage principal de l'
œuvre va être victime du cette pensée fameuse : "l'enfer c'est les autres".

Enfant, le jeune homme qui nous narre ici son histoire découvre son père pendu au fond d'une grange. Nous sommes en pleine décennie noire algérienne et les aspirations pro-gouvernementales du patriarche se broient la nuque sur les cordes islamistes.

La vie de l'être dont nous suivons les dires débute à partir de ce sombre épisode.

Quelques années plus tard, l'aîné de la famille et frère de notre correspondant entame une brillante carrière militaire. Cousine K, elle, vient de plus en plus profiter de la grande villa familiale. Alors à l'aube de l'adolescence, belle, fascinante, elle n'en oublie pas moins d'être espiègle, vicieuse et tyrannique avec son partenaire de jeu, notre narrateur.

Ces deux personnages (frère et cousine), liés par le sang au jeune homme et qui seront les seules lumières dans sa vie , seront aussi ceux qui le condamneront à la solitude absolue, à la reclusion et à l'intériorisation. Sa mère, qui n'a que faire de lui n'ayant d'yeux que pour l'aîné qu'elle idolâtre, l'oublie, le rabaisse, le hait sourdement, lui qui n'arrive pas à la cheville du grand frère.


Seul, handicapé de toute ressource sociale, n'ayant jamais reçu la moindre once d'affection autre que par son frère désormais absent, le jeune homme se réfugie dans son fort intérieur à la recherche d'une instropection vaine ainsi que dans la littérature. Au bord de la folie, cet être qui a pourtant toujours voulu se rendre utile ne sait pas ou plus comment gérer toute interaction sociale, tout rapport à l'autre. Vient alors le soulèvement de multiples questions : A-t-on besoin d'une raison pour aider quelqu'un? Comment aider une personne qui ne le demande pas? Quand est-ce que la volonté pure et sainte d'aider, de donner sans retour, se transforme en entrave pour l'autre?

Régulièrement seuls l'un avec l'autre, notre narrateur et cousine K entameront une relation destructrice, sombre, incestueuse et glauque.


"Est-ce que vivre, c'est prouver qu'on vit?". Cette phrase traduit ici le sentiment de notre héros tragique. Essayant d'exister auprès des personnes l'entourant, il ne fait pourtant qu'être ignorer, dévalorisé. Rasant les murs, fantomatique, il devient un substitut de meuble, un non-être, une présence à peine perceptible. Coupé depuis le départ de son frère de toute relation constructive, positive, et rassurante, il ne peut accéder à la connaissance des schèmes sociaux dictant les comportements appropriés et nécessaires. Cette condition alors inhumaine au regard de nos sciences sociales sera son unique état, et c'est emmuré dans ce néant affectif qu'il devra porter son fardeau : celui de vivre.


Cousine K est une œuvre d'une puissance terrible, froide, empreinte d'une tristesse suintant de chacune des pages du roman. Court, celui-ci n'excède pas les cent pages, pourtant, il nous fend d'un malaise et d'une curiosité morbide à chaque ligne. Yasmina Khadra, puisant autant dans ses origines propres que dans L'étranger de Camus, nous terrasse de justesse. Les thématiques, tiraillées entre pudeur et candeur, trouvent dans cette histoire des illustrations adéquates et viscérales. Les thèmes de la solitude, la jalousie, les obligations et relations fratriarcales, au centre de l'histoire, ne mettront en exergue qu'un fait : le désir philanthropique d'aider l'autre, de vivre à travers lui, peut être biaisé et se transformer en action misanthropique, en inaptitude à utiliser les codes sociaux, éloignant l'autre quand il devrait le rapprocher. Toujours bien au delà d'un manichéisme hors sujet, l'auteur évite chacun des écueils que l'on aurait pu lui incomber pour réussir avec brio un ouvrage d'une densité rare et magistrale.


Voici peu ou proue le résumé se trouvant au dos de l'édition pocket de Cousine K, résumant fort à propos mes dires :

"Hanté par la mort de son père, oublié par sa mère, blessé par l'absence de son frère adoré, un jeune Algérien de l'après-guerre se laisse peu à peu envahir par ses sentiments pour sa belle cousine. Très vite, cet amour devient obsession et névrose. Comment s'approprier cette fille capricieuse, si proche et pourtant inaccessible ? Entre les deux adolescents, une relation de victime à bourreau s'installe. Croyant apaiser sa souffrance, l'amoureux envisage de se venger de l'indifférente. Va-t-il l'emprisonner, la violer , la tuer ? Dans le silence du douar étouffant et torride, une tragédie se prépare..."

Publié dans Littérature

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article