Two Lovers

Publié le par Alexandre

two-lovers-poster.jpgAlors qu’il nous avait habitué à exceller dans le domaine du polar avec des chefs-d’œuvre tels que Little Odessa, The Yards et La Nuit nous appartient, James Gray nous livre ici un mélodrame d’une sincérité poignante, bien éloigné des carcans inhérents au genre. Two Lovers délaisse en effet les mièvreries sentimentales et opte pour le désarroi existentiel d’un homme encore adolescent.


La scène d’ouverture en est un bel exemple. Le dos tourné, la tête fléchie et la démarche apathique -comme un enfant qui se refuse à complaire aux exigences sociétales- Léonard (incarné par Joaquin Phoenix) traîne sa carcasse de trentagénaire près d’un pont de New York pour se jeter à l’eau et sombrer dans des abysses autrement plus chaleureux que sa lugubre vie. Énième essai à nouveau manqué, il repart trempé et rentre chez ses parents où il s’est installé depuis plusieurs mois. Son quotidien est entravé par une mère débonnaire, un travail insipide à la blanchisserie paternelle et la rupture récente avec sa fiancée ; un climat dérangeant où se mêlent promiscuité et avenir tout tracé. C’est alors sans surprise que l’on remarque ses troubles bipolaires et sa passion précaire pour la photographie, seuls moyens d’échapper à l’inexorabilité de l’aliénation sociale.


Cette dernière est représentée par Sandra Cohen (Vinessa Shaw), jeune femme brune toute désignée, dont le père s’apprête à racheter l’entreprise de blanchisserie. Avec elle se concrétisent l’avidité parentale et l’union durable. Mais la rencontre entre Léonard et sa voisine Michelle Rausch (Gwyneth Paltrow), blonde pétillante distillant l’ivresse et la démesure, va changer la donne et compliquer la situation. Tandis que Sandra est emplie d’amour à donner, Michelle est insaisissable, tiraillée par sa liaison laborieuse avec un avocat marié et père de famille. D’un côté l’amour acquis, de l’autre l’amour chimérique.


Épris par ces deux femmes et dès lors confronté à un choix cornélien entre la contrainte et le désir, Léonard, par son refus de passer à l’âge adulte marqué autant mentalement que physiquement (gestuelle puérile, regard illuminé,…), va s’amouracher éperdument de Michelle. C’est pourquoi, au détour d’une scène située en boîte de nuit, il apparaît frénétique à ses côtés, déchainé sur la piste de danse et en proie à des pulsions primitives rapidement chassées par le retour à la réalité, la jeune blonde n’étant dévouée qu’à son amant.


Guidé par un enivrement immature, notre maniaco-dépressif voguera tout au long du film de désillusion en désillusion, à la recherche d’une abstraction naïve. Sa déchéance est notamment mise en exergue au moment où Michelle et son amant discutent dans une chambre tandis que Léonard, caché dans l’ombre, observe impuissant cette relation sur laquelle il n’a aucune emprise. Une échappatoire lui est néanmoins présentée durant la scène suivante, lorsque Sandra confesse son attachement pour lui : «I want to take care of you. I feel like I understand you.». De tendres paroles dénigrées par les yeux fuyants de Léonard, incapable de choisir entre le rôle qui lui est prédestiné et la vie qu’il s’est imaginé. Difficile donc de ne pas reconnaître la virtuosité de James Gray, terriblement juste dans son observation du sentiment amoureux en capturant avec humilité une beauté tragique là où on ne l’attend pas forcément. Certaines séquences transforment même une scène banale en véritable poésie cinématographique à la simple exposition d’un sourire effacé ou de l’intensité d’un regard que la mise en scène et le jeu d’acteur subliment.


Inspiré par Les Nuits blanches de Dostoïevski, le réalisateur américain dépeint avec talent les vicissitudes d’un homme désemparé au beau milieu des méandres familiales et amoureuses. Loin de n’être qu’une banale histoire d’amour, Two Lovers est une œuvre bouleversante sur l’illusion d’être aimé, sur le cruel triomphe des liens de sang face à la passion utopique. Un passage à l’âge adulte au prix de mille et un sacrifices.

Publié dans Cinéma

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